En plus de leur mouvement orbital autour du Soleil, les planètes tournent sur elles-mêmes, et leur axe de rotation est lui-même animé d'un mouvement de précession analogue à celui d'une toupie. On appelle « obliquité » l'angle entre le plan équatorial et le plan orbital d'une planète. Le processus physique d'accrétion du gaz qui a eu lieu lors de la formation des planètes géantes gazeuses implique que celles-ci se sont formées avec une obliquité voisine de 0°. L'obliquité actuelle de Jupiter est effectivement faible (environ 3°), mais pas celle de Saturne (environ 27°).
De par leur attraction gravitationnelle, les satellites massifs influencent le mouvement de l'axe de rotation de leur planète hôte. Or, les satellites de Jupiter et de Saturne migrent au cours du temps (voir la rubrique Satellites naturels).
Dans le cadre d'une collaboration avec Giacomo Lari et Gwenaël Boué, nous avons montré que la migration des satellites de Saturne modifie la fréquence de précession de son axe. En augmentant, cette fréquence serait devenue égale à la fréquence de précession de l'orbite de Neptune, notée s8. Par un phénomène de résonance, l'égalité des deux fréquences aurait alors produit une bascule progressive de l'axe de Saturne jusqu'à son orientation actuelle [xv].
Ces résultats impliquent que la bascule de Saturne est récente (elle aurait commencé il y a environ un milliard d'années) et continue : à mesure que ses satellites s'éloignent, Saturne s'incline de plus en plus. Dans les prochains milliards d'années, l'obliquité de Saturne pourrait même dépasser 65° [xvi]. Mais même si ce scénario est le plus probable, il n'est pas unique : il reste la possibilité que l'inclinaison de l'axe de Saturne soit le résultat d'un événement très ancien, comme une collision massive.
Une introduction à ces résultats a été donnée par Gwenaël Boué dans une conférence grand public de l'IAP (11/2021). Pour en savoir plus, lire la lettre d'information n°176 de l'IMCCE ou le communiqué CNRS. Ces travaux ont fait l'objet d'un « Research Highlight » dans la revue Nature et dans la revue Astronomy & Astrophysics.
Selon une étude successive, il semble qu'aujourd'hui Saturne ne soit plus piégée dans la résonance. Si tel est le cas, alors un mécanisme additionnel a désynchronisé Saturne après la bascule de son axe, il y a environ 100 millions d'années. Les auteurs de cette étude suggèrent que Saturne aurait pu avoir eu une lune supplémentaire qui serait devenue instable. Ils proposent de relier cet événement à l'âge controversé des anneaux de Saturne. Ces théories sont actuellement très débattues dans la communauté scientifique [xxiii]. À ce sujet, écouter l'émission d'Alexandra Delbot sur France culture.
L'axe de Jupiter devrait également basculer dans le futur en raison de la migration des satellites galiléens (voir la rubrique Satellites naturels). L'augmentation d'obliquité de Jupiter fait intervenir une résonance avec la fréquence de précession de l'orbite d'Uranus, notée s7. L'obliquité future de Jupiter pourrait ainsi dépasser 30° dans les cinq prochains milliards d'années [xiv].
Ces résultats sont lourds de conséquences. Contrairement à ce que les astronomes pensaient précédemment, les obliquités de Jupiter et de Saturne ne sont pas constantes depuis plus de quatre milliards d'années, mais elles évoluent de manière continuelle : ce que nous observons aujourd'hui n'est qu'une étape transitoire de leur évolution.
Ce mécanisme de basculement est générique et susceptible de s'être déclenché également pour une grande fraction d'exoplanètes. Sur une échelle de temps de plusieurs milliards d'années, le système converge vers une configuration instable pour le satellite (voir la rubrique Satellites naturels) ; cette instabilité vient mettre un terme au basculement de l'axe, abandonnant la planète avec une obliquité voisine de 90° [xvii]. La distribution des obliquités des exoplanètes géantes gazeuses pourrait donc s'étendre loin des 0° attendus par leur mécanisme de formation.
Avec son obliquité de 98°, Uranus semble être exceptionnelle parmi les planètes géantes du Système solaire.
Il est généralement admis qu'Uranus aurait subi une série d'impacts géants, conférant à son axe une orientation aléatoire. Cette hypothèse est toutefois en contradiction avec la grande similitude qui existe entre Uranus et Neptune (masse, rayon, vitesse de rotation, etc.). La période de rotation d'Uranus est par ailleurs conforme aux prédictions des modèles sans collisions. Avec des impacts majeurs, de telles similitudes auraient eu une chance infime de se produire. Il est donc nécessaire de trouver un scénario alternatif.
En collaboration avec Zeeve Rogoszinski, Giacomo Lari, et des chercheurs de l'IMCCE et de l'OCA, nous avons montré qu'une ancienne lune hypothétique autour d'Uranus pourrait avoir incliné son axe par un processus similaire à celui observé pour Jupiter et Saturne. En convergeant vers une zone instable, la lune est naturellement détruite dans la phase finale de ce mécanisme.
Si cette ancienne lune est assez massive (de l'ordre de la masse de Ganymède, la lune de Jupiter), alors la probabilité d'obtenir l'état actuel d'Uranus peut dépasser 80 % [xix].
L'orientation de l'axe de rotation des planètes est directement liée au phénomène des saisons et à la stabilité du climat. En collaboration avec Jacques Laskar et Gwenaël Boué, nous avons développé une formulation analytique du mouvement à long terme des axes de rotation. Cette formulation permet de localiser les résonances et les zones chaotiques même si les paramètres du système planétaire sont mal connus [x].
Les exoplanètes dont l'axe est nécessairement stable forment des cibles d'observation prioritaires (par exemple pour la mission PLATO de l'ESA), car elles pourraient être plus propices à l'apparition de la vie.
L'orientation de l'axe de rotation d'une exoplanète est cependant très difficile à mesurer – à moins que celle-ci ne possède un anneau (car un anneau, comme celui de Saturne, reste par essence orienté perpendiculairement à l'axe de rotation de la planète). Et en effet, la présence d'anneaux a été proposée autour de certaines exoplanètes dites « super-puff », dont le rayon apparaît anormalement grand.
Une telle augmentation du rayon apparent de l'exoplanète nécessiterait que celle-ci ait une obliquité voisine de 90°, ce qui est contraire aux mécanismes de formation des planètes géantes gazeuses (voir haut de page).
Dans le cadre d'une collaboration avec Sophia Sulis, Paul Charpentier et Alexandre Santerne, nous avons montré que la bascule de l'axe de la planète HIP 41378 f et la formation d'un anneau peut s'expliquer naturellement si la planète a eu une ancienne lune [xxi]. Cette ancienne lune aurait eu des propriétés tout à fait conformes à ce à quoi les scientifiques s'attendent autour d'une planète géante gazeuse.
Dernière mise à jour : 06/2023.